SYSTÈME POSTURAL ET SCOLIOSE
Bernard BRICOT

Résumé.

     La scoliose est par essence même une maladie du système tonique postural.
     Les ceintures scapulaire et pelvienne sont des systèmes tampon de la posture ; or, dans une grande majorité des cas de scoliose, il semblerait qu’ils ne jouent plus leur rôle : le tampon se fait au niveau de la colonne. Certains auteurs ont parlé de bassin “exclu” (Salanova, Bricot). Dès lors, le problème que l’on peut se poser est de savoir si dans ce cas le système proprioceptif est ou non “mature”.
     L’objectif de cette étude est de mettre en évidence sur plate-forme de stabilométrie dans des conditions normalisées et en situation YF (Yeux Fermés), s’il existe des paramètres pouvant révéler une non maturité du système proprioceptif.
     Ont été analysés :
- Les pics de fréquence (dérivé de Fourier) des oscillations posturales en situation Yeux Fermés (YF) aussi bien dans le sens antéro-postérieur que sur l’axe transversal afin d’analyser la répétabilité des anomalies chez les sujets présentant des scolioses à bassin exclu.
     Nous avons comparé ces enregistrements avec des sujets normaux et des sujets porteurs de scoliose avec raccourcissement apparent d’un membre inférieur et sans bassin exclu.
Conclusion.
     A la lueur de ce travail et de l’interprétation des résultats, les conclusions suivantes semblent justifiées :
- dans les cas de bassins exclus, des pics de fréquences anormaux apparaissent dans la bande de fréquence située entre 0,2 et 5 Hz, surtout en situation YF ; ils semblent être le reflet d’une non maturité proprioceptive.

MATURITÉ PROPRIOCEPTIVE ET SCOLIOSE

     Certains auteurs ont constaté que l’on pouvait séparer les scolioses en deux groupes (Bricot 96 ; Salanova 99) :
- celui où le bassin est exclu du processus scoliotique ;
- celui où le bassin est inclus dans le processus scoliotique.
     Dans le premier cas le bassin apparaît, radiologiquement, parfaitement équilibré ; dans le second on retrouve : bascule, rotation et torsion avec souvent une jambe courte associée.
     Il est possible d’émettre l’hypothèse qu’il pourrait s’agir, en cas de bassin exclu, d’un processus de “non maturité proprioceptive” (Bricot 96).
     Il pouvait sembler logique de rechercher un moyen pour mettre en évidence cette non maturité et ce pour plusieurs raisons :
- déterminer les enfants à risque afin d’avoir une action préventive ;
- déterminer les sujets sans maturité proprioceptive afin de mieux comprendre l’évolution de certaines scolioses (Duval Beaupère G, 1970, 79, 86 ; Clarisse P, 74 ; Colis DK, 69 ; Duriez J, 67) mais aussi de diverses autres pathologies comme les lombalgies (Auge R., 1976) ou certains vertiges ;
- d’appréhender différemment les difficultés rééducatives, les traitements orthopédiques (Coillard C, Rivard Ch, 1999, 2001), ou les problèmes de récupération post-opératoire de certains patients ;
- envisager des protocoles rééducatifs différent en intégrant reprogrammation posturale globale, rééducation proprioceptive (Brun, 1986) et oculaire.
     Le système postural est un tout structuré à entrées multiples, ces différents capteurs sont le pied, l’œil, la peau, les muscles, les articulations, l’oreille interne ainsi qu’un “parasite” branché sur le système : l’appareil manducateur. Si l’on peut considérer que le pied et l’œil ont un rôle fondamental car ils associent extéroception et proprioception, il existe un phénomène de vicariance et les capteurs éventuellement déficients verront leur rôle compensé par les autres (Bricot B, 1981, 1996 ; Roll, Paillard)

.     L’œil représente une “accroche” fondamentale dans l’équilibre et la stabilisation du corps : il est établi qu’il est deux fois plus difficile de s’équilibrer les yeux fermés que les yeux ouverts (Van Parys, Njokiktjien Ch., 1976).
     La stabilométrie permet de le mettre en évidence de façon formelle par l’étude de la projection au sol de la surface du centre des pressions qui peut être, en statique pure, associée au centre de gravité du corps.
     L’outil d’analyse est la plate-forme de stabilométrie, elle permet d’analyser les oscillations posturales d’un individu debout, dans différentes situations et ainsi d’avoir une idée sur son équilibre et son système postural (Bizzo, 1985).
     Elle permet d’étudier dans le temps les variations de position du centre de pression. Le tracé ainsi obtenu sera à la base de l’analyse de différents paramètres.
     Plusieurs paramètres ont été définis comme pertinents : surface (S), longueur (L), déviations latérales (X), déviations antéro-postérieures (Y), longueur en fonction de la surface (LFS), variance de la vitesse de déplacement (VFY), quotient du Romberg (Q RBG), ainsi que les “transformées de Fourier” qui permettent d’analyser les divers “pics fréquentiels” des oscillations posturales normales et anormales aussi bien dans le sens sagittal que dans le plan frontal.
     Ces mesures sont faites dans deux situations différentes : Yeux Ouverts (YO) et Yeux Fermés (YF).
     En situation Yeux Fermés l’absence “d’accroche” visuelle exacerbe le rôle des autres entrées, notamment :
- extéroception podale ;
- proprioception musculaire.
     Chez des sujets normaux, les transformées de Fourier montrent un “pic postural” normal entre 0 et 0,2 Hz., la courbe s’amortit ensuite immédiatement jusqu’à 2 Hz (pour une fréquence d’enregistrement à 5 Hz).
      Si l’on considère que dans les scolioses à bassin exclu il puisse exister une perturbation dans la proprioception musculaire, il est logique d’attendre des pics fréquentiels anormaux entre 0, 2 et 2 Hz, surtout en situation Yeux Fermés (YF).
     Le but de ce travail est de le mettre en évidence.

BASSINS INCLUS ET BASSINS EXCLUS

1 ) BASSINS EXCLUS
     Sur ces deux radiographies nous pouvons constater qu’il n’existe aucune asymétrie du bassin, il est parfaitement équilibré, il ne participe pas au processus scoliotique.
     Nous l’avons nommé : “bassin exclu”.


Il peut le rester longtemps comme le montre la radiographie suivante.


     Ci-dessous un gros plan nous montre une symétrie quasi parfaite (seul le pubis est légèrement asymétrique) de la ceinture pelvienne :
- les ailes iliaques ont la même orientation ;
- les cintres cervico-obturateurs sont normaux et symétriques;
- les trous obturateurs de forme identique.


2 ) BASSINS INCLUS.
      Au contraire les bassins inclus participent pleinement au processus scoliotique. Ils seront déséquilibrés avec des bascules et des rotations, mais aussi des torsions sur le grand axe avec une antéflexion iliaque d’un côté et une extension du côté opposé.
     Cette radiographie met en évidence une bascule et une rotation du bassin avec asymétrie des trous obturateurs et des cintres cervico-obturateurs.


Les scolioses avec bassin inclus semblent moins graves que les scolioses avec bassin exclu, elles réagissent mieux au traitement que ce soit le corset, la rééducation ou les techniques de reprogrammation posturale. Pourtant leur évolution spontanée peut se faire aussi vers l’aggravation comme le montre la radiographie suivante.

LA STABILOMÉTRIE DES BASSINS INCLUS.

     Sur le plan stabilométrique l’étude des pics fréquentiels sur les dérivés de Fourier de ces bassins se rapproche des tracés normaux.
     Il existe toutefois des “incidents” fréquentiels anormaux plus ou moins marqués entre 0,2 et 0,6 Hz.
     Nous n’avons pas d’explication logique sur ces incidents ; ils sont peut-être le reflet de la scoliose en général ?

        Sur les deux clichés suivants les incidents fréquentiels, bien que n’atteignant jamais le niveau de ceux de non maturité, sont un peu plus marqués mais ces jeunes filles de 15 et 13 ans ont de l’orthodontie en bouche, une cyclotorsion oculaire et un antécédent de trauma crânien avec P.C. pour la seconde.

LA STABILOMÉTRIE DES BASSINS EXCLUS.

     Sur le tracé précédent les pics sont plus marqués en YF et d’ailleurs la surface du statokinésigramme est beaucoup plus élevée qu’en YO (245,8 / 86.8). Donc avec la suppression de “l’accroche visuelle” (en situation YF) les fréquences anormales seront plus évidentes.
     Mais il est des cas où les deux tracés peuvent être perturbés.

     Le cas suivant est très éloquent : sur le tracé de 1999 il existe des signes de non maturité visible seulement en YF.

Ce patient a présenté 2 décollements de la rétine en 2002 et 2003 nécessitant 6 interventions, le tout sur une forte myopie. En 2003 les pics fréquentiels anormaux se retrouvent sur les deux tracés.

Parfois les pics fréquentiels anormaux sont plus marqués sur l’axe des X (oscillations transversales), parfois sur l’axe des Y (oscillations antéro-postérieures).

Dans ce cas de bassin exclu la scoliose lombaire se réduit mal sous corset ; aucune bascule n’apparaît sur le bassin.

Ci-dessous son statokinésigramme qui confirme la non maturité proprioceptive:

Le filtre passe-bas fait apparaître des pics anormaux entre 0, 2 et 1 Hz, ainsi que des petits pics fréquemment rencontrés en 1,6 - 1,7 - 1,8 - 1,9 Hz.

Dans le cas suivant, au contraire, la courbure lombaire diminue presque complètement, mais la bascule du bassin s’aggrave et une jambe courte apparaît

LES CAS LIMITES ET LES RISQUES D’ERREURS.

     Dans les cas douteux, plusieurs paramètres doivent être pris en considération :
- Une aile iliaque en “enfilade” et l’autre “évasée” peuvent être soit le reflet d’un mauvais centrage du sujet devant le tube de radio, soit d’une rotation du bassin, soit d’une torsion hélicoïdale du bassin sur son grand axe (antéflexion iliaque d’un côté, extension de l’autre). Il est bon dans certains cas de faire des corrélations avec la projection éventuelle des petits trochanters, ainsi qu’avec les pieds du patient : pour les torsions hélicoïdales ils seront à tendance varisante côté extension iliaque, tendance valgisante côté flexion.
- L’harmonie du détroit supérieur et sa symétrie droite / gauche.
- La symétrie des cintres cervico-obturateurs (formés par la partie inférieure de la branche ilio-pubienne et la partie interne du col fémoral).
- La forme identique des trous obturateurs droit et gauche.
- le dégagement symétrique des petits trochanters.
- un décalage éventuel des têtes fémorales qu’il faudra corréler aux autres paramètres.

Donc bassin exclu au-dessus et probablement inclus au-dessous

FIN DE CORRECTION.

     La reprogrammation posturale permet-elle de corriger les pics fréquentiels anormaux ?
     Sur les enregistrements qui suivent nous ne pouvons que constater une disparition des pics anormaux entre 1 et 2 Hz. sur les X, alors que sur les Y la normalité est rétablie entre 0,6 et 2 Hz.
     Par contre sur les deux tracés persistent les grands pics anormaux entre 0,2 et 0,4

MALADIE DE STRUMPELL - LORRAIN + SCOLIOSE

     Hérédodégénérescence spinocérébéleuse, une scoliose est parfois associée. Les tracés sont identiques à ceux d’une scoliose sans maturité proprioceptive.
     Il faut noter la surface et la longueur en situation YF.

LES FILTRES PASSE-HAUT ET PASSE-BAS SONT-ILS UTILES ?

     Le filtre passe-haut exacerbe souvent la différence entre le tracé YO et le tracé YF.

     Mais le filtre passe-bas nous a semblé plus intéressant car il ne laisse persister que les pics anormaux (Zone accidentée de 0,2 à 0,6 ou 0,8 Hz mais aussi les pics 1,6 - 1,7 et 1,9 Hz).

CONCLUSION

     Dans les scolioses à bassin exclu l’examen stabilométrique permet de retrouver sur les transformées de Fourier des pics fréquentiels anomaux entre 0,2 Hz. et 2 Hz. ; Ces pics fréquentiels ne se retrouvent pas dans les cas où le bassin est inclus et participe au processus scoliotique. En effet ces tracés sont très proches des tracés normaux.
     Ces pics fréquentiels existent aussi bien sur les oscillations antéro-postèrieures que sur les oscillations transversales mais peuvent être plus marqués sur l’un ou l’autre des tracés.
Ils sont, dans la majorité des cas, plus visibles en situation YF et d’ailleurs la surface du diagramme est souvent plus de deux fois supérieure à celle en situation YO.
     Ces pics fréquentiels anormaux sont le reflet d’un trouble probable de la maturité proprioceptive car ils persistent chez l’adulte et ne sont pas corrigés par les méthodes habituelles de traitement. Seule la reprogrammation posturale permet de les diminuer sans toutefois les faire disparaître.
     Les scolioses à bassin exclu sont les plus graves, les plus évolutives dans notre série et les plus difficiles à traiter.
La stabilométrie pourrait donc permettre un diagnostic précoce, souvent avant l’apparition des premières déformations, et laisse envisager la possibilité d’un traitement préventif.
     Dans tous les cas une reprogrammation posturale ainsi qu’une rééducation proprioceptive pourraient être indiquées.

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