E. Geoffrey WALSH

(1922-2003)

par Pierre-Marie GAGEY


     Pourquoi me suis-je assis à côté de lui ce soir du 20 septembre 1973 dans la cour du château de Smolenice? Impossible de le dire, il se passe tant de choses dont nous sommes totalement inconscients dans nos réseaux de neurones... Mais après trente années d'échanges et d'amitié il est quand même permis de supposer qu'un certain attrait pour les qualités de son esprit avait déjà guidé mes pas ce soir-là, vers cette place-là, vide, sur le banc, à côté de lui. Un grand feu avait été allumé au milieu de la cour par le groupe slovaque qui venait animer cette soirée de détente du deuxième symposium international de posturographie. Nous avons commencé par regarder les gerbes d'étincelles qui jaillissaient du feu pour se perdre dans la nuit, au milieu des étoiles, en silence, tous les deux. Puis il a dit: "Sparks". Et le spectacle a commencé. J’ai complètement oublié ce qu’ils ont dansé et chanté, mais pourquoi n’ai-je pas oublié, au point d’en être certain, qu’il a dit "Sparks" ? Quelle étincelle a donc jailli ce soir-là entre lui et moi ?

    Lui, c’était le chemin de fer qui l’avait amené à ce symposium ; moi, les traumatisés crâniens. J’avais une question, il avait la réponse. Les experts refusaient une pension honorable à mes patients instables parce que leurs épreuves fonctionnelles canaliculaires étaient normales, moi, je savais que mes patients étaient vraiment instables, j’en avais conclu que les canaux semi-circulaires ne servent donc pas beaucoup pour se tenir debout au repos. C’était ma question. Lui avait été contacté dans les années 60 par la British Railway ; à cette époque en effet les ingénieurs avaient à peu près résolu l’essentiel des problèmes d’usure du matériel roulant causée par les vibrations et ils commençaient à s’intéresser à l’effet de ces mêmes vibrations sur les usagers du rail, ils avaient donc besoin de l’aide d’un physiologiste. Avec le concours, déjà, de Mr George Wright qui ne l’abandonnera jamais pour monter ses dispositifs expérimentaux, Walsh avait construit un appareillage pour enregistrer les oscillations de la tête d’un sujet soumis aux vibrations d’un train en marche ; il avait observé divers types d’oscillations. Et comme le capteur céphalique capable de détecter ces oscillations est principalement le vestibule, progressivement Walsh en était arrivé à ce protocole qu’il présentait à Smolenice. Le sol oscillant n’était plus celui d’un wagon, mais une plate-forme dont Mr George Wright pouvait régler à volonté les oscillations, en amplitude et en fréquence de 0,06 à 0,7 Hz. Or aux fréquences les plus basses la tête du sujet d’expérience oscillait avec la plate-forme, comme celle d’un pantin, sans réactions, alors qu’aux fréquences les plus hautes elle se stabilisait dans l’espace et devenait une sorte de plate-forme inertielle de guidage "the head acts as stable platform from which the eye can operate". Walsh me disait donc que j’avais peu de chances de me tromper en considérant que les canaux semi-circulaires n’interviennent pas dans le contrôle de la posture orthostatique (dont les oscillations posturales sont de très basse fréquence) et qu’il n’est pas particulièrement souhaitable de limiter le bilan d’un patient instable (physiquement) à l’examen de ses canaux semi-circulaires.

    Les plates-formes de stabilométrie devenaient à la mode, comme Walsh n’aimait ni le conformisme, ni la pensée unique, ni l’exploitation commerciale des découvertes, il a laissé à d’autres le soin de poursuivre les recherches sur le contrôle postural ; dès 1974, c’est au sujet des dystonies familiales qu’il publie un travail. Pendant plusieurs années, nous n’avons plus eu de raisons de discuter ensemble.

    Lorsqu’il a commencé à publier des choses sur un truc bizarre que je ne comprenais pas, la thixotropie, je lui ai demandé de venir nous expliquer cela à Paris, en 1989. Et j’ai découvert, une fois de plus, que sa recherche était toute proche de nos préoccupations. L’état de tension musculaire permanente qui maintient les pièces squelettiques dans leur position réciproque, déterminée par la posture adoptée, Walsh montrait qu’il avait une composante physico-chimique. "C’est comme le ketch-up" disait-il tout en secouant la bouteille qu’il avait apportée dans ses valises. Vous agitez et cela rompt des liens physico-chimiques fragiles entre molécules voisines, la pâte devient liquide ; mais dès que le liquide est au repos ces liens se reforment, le kecht-up redevient pâte. Connaître cette part physico-chimique de la raideur des muscles au repos avait une triple importance pour nous, posturologues.

    Très concrètement, lorsque nous testons le tonus musculaire, un changement d’amplitude de nos mouvements peut nous faire prendre pour une modification tonique ce qui n’est que rupture de ces liens fragiles. Un piège facile à éviter à partir du moment où l’on a compris ce qu’est la thixotropie.

    Plus théoriquement, tous ces degrés de liberté du corps humain que représentent nos articulations étagées depuis les métatarses et le tarse jusqu’à l’articulation occipito-atloïdienne, tous ces degrés de liberté peuvent être verrouillés à peu de frais par ces liens de la thixotropie, au moins partiellement. Grâce à Walsh, nous découvrions donc que le modèle du pendule inversé à un seul degré de liberté est un modèle du contrôle de la posture orthostatique encore plus économique que nous ne le pensions.

    Enfin, avec George Wright, Walsh avait mis au point un appareillage susceptible de mesurer la résistance que les muscles opposent à leur étirement. Cet appareil fonctionnait avec un type de moteur nouveau, inventé en France, dont aucun physiologiste français ne se servait à l’époque, ce qui amusait beaucoup Walsh. J’ai tout de suite proposé d’utiliser cette installation pour mesurer les variations du tonus postural en fonction de la position réciproque des différentes parties du corps, ce que nous avons tenté, sans succès, dans l’entresol de la faculté de médecine d’Edimbourg.

    Walsh avait le sens de l’histoire, de l’enracinement de notre activité dans une dynamique de désir, de savoir ou de faire, à laquelle il lui plaisait de se rattacher formellement. Ainsi, il ne se contentait pas d’avoir été un radio-amateur passionné, puis de s’engouffrer dans la spirale hallucinante de communications ouverte par Internet, il lui fallait aussi remonter à la source, communier d’une autre façon avec ceux qui nous ont ouvert la route. Je le vois encore accélérant imperceptiblement le pas au fur et à mesure que nous approchions de l'Hôtel Villeroy, 9 Rue de l'Université, tant il avait hâte de contempler cette tour d’où partit en 1794 le premier télégraphe optique envoyé de Paris à Lille par son inventeur Claude Chappe. Il avait trouvé les traces de cette histoire dans une bibliothèque d’Edimbourg, me l’avait communiquée et n’avait eu de cesse qu’on organise une expédition pour voir "La" tour. Puis, il a continué ses recherches historiques sur le télégraphe, électrique cette fois, sur l’œuvre de Ronalds.

    Il voulait aussi que nous allions voir les instruments construits par Etienne-Jules Marey, au Musée de Beaune et au Conservatoire des arts et métiers de Paris, mais sa maladie l’en a empêché.

    Jusqu’au bout il a gardé ce sens de l’histoire. Le dernier article, qu’il m’a envoyé quelques semaines avant sa mort, commence exactement par cette phrase : "En 1828, Delpech avait construit, dans un but thérapeutique, une voiture hippomobile capable d’engendrer une rotation axiale du rachis lombaire de son passager ."

    Maintenant c’est lui, E. Geoffrey WALSH, qui est inscrit dans l’histoire. Sa vie est bouclée en une totalité dont les dates, qu’il nous a données, n’ont plus d’autre sens que de nous fournir des repères selon l’avant et l’après ; le temps qui s’écoule, pour lui s’est arrêté laissant toute la place à la durée, proche parente de l’éternité, de son existence.

1922 November 25th, born at Cheltenham, England.
1932-40 Cheltenham Grammar School.
1940 Scholarship to Exeter College, Oxford.
1940-42 Pre-clinical studies
1943 B.A. First Class Honours (Animal Physiology). Theodore Williams Prize (Anatomy). Theodore Williams Prize (Physiology). Francis Gotch Prize
1944 Neurophysiological Research (Oxford University).
1944-46 Rockefeller Student, Harvard Medical School.
1946 Soma Weiss Prize (Harvard). Assistant, Massachusetts Institute of Technology. M.D. (Harvard).
1947 M.A-, B.Sc., B.M. B.Ch. (Oxford).
1948-50 Clinical Appointments.,
1948 D.T.M. & H. (Liverpool). (Including a period as a ship's surgeon).
1950 M.R.C.P. London. Lecturer, Department of Physiology, Edinburgh University. Part-time Electroencephalographer, Royal Infirmary, Edinburgh.
1954-67 Senior Lecturer, Department of Physiology, Edinburgh University.
1957-63 Honorary Consultant, South East Scotland Regional Hospital Board.
1959 F.R.S. (Edinburgh).
1963-64 W.H.O. Visiting Professor, Baroda Medical College, India. During this time I paid two visits to Madras to advise the staff of the Tuberculosis Chemotherapy centre on ways of testing vestibular function
1965-72 Editorial Board, Journal of Physiology.
1967 F.R.C.P. (London).
1967-90 Reader, Department of Physiology, Edinburgh University.
1968 F.R.C.P. (Edinburgh).
1983-86 Committee member. Physiological Society. Editorial Board, Paraplegia.
1986-90 Examiner, Cambridge University.

Edinburgh,

26.11.02